L’aurore, pour imaginer la République que nous voulons.

L’aurore est un lieu de réflexion et de débat, ouvert à tous les citoyens engagés. Pourquoi créer un nouveau think tank aujourd’hui ?
Parce que les crises – politiques, sociales, économiques, culturelles, sécuritaires, migratoires – s’enchaînent et souvent se conjuguent, et qu’il faut développer une vision de long terme, dégagée de l’immédiateté, pour trouver de nouvelles clés de lecture.

→ Lire
La suite

Le bloc-notes

Gilles CLAVREUL - 2 Avr 2021

A propos de « 3000 ans après Ulysse », de Jean Glavany

Envie de prendre le large ? Pour patienter jusqu’à la délivrance tant attendue, laissez-vous guider par Jean Glavany, lancé sur les traces du héros d’Homère dans 3000 ans après Ulysse, pour un périple en Méditerranée où se mêlent les mille passions de sa vie, et notamment l’histoire, l’art, la littérature, l’engagement politique, et donc, la mer, qui lui offre pour cette méditation personnelle, par moments intime, son théâtre grandiose.

De Jean Glavany, la chronique officielle connait l’ancien parlementaire et ministre, proche collaborateur de François Mitterrand. On sait moins qu’il est un marin émérite, dont un navigateur aussi chevronné qu’Olivier de Kersauzon salue en connaisseur la ténacité et le sens de la mer. Il est comme cela, Jean : il y a d’un côté le terrien, le rugbyman qui a posé ses valises il y a plusieurs décennies dans ses « chères Pyrénées », terre d’élection où il a mené plus d’une campagne, l’épicurien généreux (il rend plus d’un hommage mérité aux gastronomies méditerranéennes), le politique à l’agenda à peine moins chargé désormais qu’il a quitté la plupart de ses responsabilités ; et puis il y a Jean le marin, taiseux qui devine les vents, scrute la houle, qui part seul en mer avec sa pile de bouquins et médite sous la voûte étoilée, lorsque la mer et ses caprices lui en laissent le loisir. En faisant partager sa passion de la mer - vous n'ignorerez rien, lecture faite, des subtilités des vents méditerranéens comparés à ceux de l'Atlantique -, Jean Glavany nous embarque, littéralement, dans un voyage érudit dans le berceau de notre civilisation.

Sagesse des ancêtres

On comprend vite que l’idée de ce voyage s’est imposée à Jean peu après la mort de son père, Roland Glavany, général de l’armée de l’air et héros de la libération de la France, blessé en Corse et à nouveau lors du débarquement de Provence. Pourquoi la Méditerranée ? Pour comprendre, il faut aller jusqu’au port de Vólos, à 350km au nord d’Athènes, pour trouver une rue au nom insolite : οδος γκλαβανή, rue Glavany. Je crois bien être tombé dessus, par hasard, avant que Jean n’y vienne chercher la trace de ses ancêtres, répartis entre Constantinople, l’île de Chios et donc, l’entrée de la presqu’ile du Pelion. Durant son périple, à l’instar d’Ulysse aux mille ruses, Jean converse avec « ses morts » : « Et je songe encore à mes morts, tous mes morts (…), qui vivent encore dans mon souvenir, chaque jour. Mon frère aîné, mes vieux copains de navigation, mes parents bien sûr, certains de mes amis les plus chers, mes maîtres en politique, tous ceux avec qui je dialogue en permanence. L’homme est immortel par le souvenir ».

Cette évocation de la figure paternelle est une passerelle entre l’intime et l’universel, entre l’histoire personnelle et l’Histoire majuscule. L’homme qu’il est devenu, homme d’engagement et d’action politiques, s’est construit dans la fidélité – le mot qui le caractérise sans doute le mieux. Fidélité filiale et amicale ; fidélité à un héritage et une culture, à une certaine idée de l’homme et des valeurs qui fondent la civilisation. Arkhê : une même racine pour dire « les ancêtres », mais aussi le début, le commencement, le principe, ce par quoi commence l’entreprise humaine. « Au commencement, la Grèce » : c’est le titre du chapitre VII où Jean rappelle qu’Ulysse, averti par Circé, après avoir distribué des boules de cire à ses hommes pour qu’ils ne succombent pas au chant des sirènes, s’est fait ligoter au mât mais en gardant ses oreilles ouvertes : la volonté de savoir, quoi qu’il en coûte, voilà ce qui pourrait caractériser notre ancêtre majeur.

Alors, Jean sillonne la Méditerranée en tous sens à la recherche des ces traces premières, mythologiques et historiques, qui nous ont faits. Inspiré par Clemenceau, helléniste fervent, et avec la compagnie complice de son ami l’historien Jean-Noël Jeanneney, il s’interroge sur la transition entre les polythéismes égyptien et greco-romain et les monothéismes, promesse « d’une porte de sortie ou d’une consolation tangible », comme l’avance Braudel, face à l’indétermination de la condition humaine…mais à quel prix. « Ô Méditerranée, implore Jean, je voudrais tant que tu sois une mer laïque … ». Laïque et non pas, bien entendu, débarrassée des religions, tant églises et monastères, cloîtres, minarets et synagogues ont façonné ses paysages et son histoire.

Violence d’hier et d’aujourd’hui

Reste à redécouvrir, en un temps où l’individu-roi tend à considérer que le monde est né avec lui, les questionnements premiers amenés par les philosophes et les poètes de l’Antiquité, perpétués et renouvelés par la scolastique médiévale, puis par la Renaissance et les Lumières, jusqu’à nous. Car le temps presse pour l’espace méditerranéen, et Jean Glavany aborde tous les maux qui la tenaillent : la pollution que les marins constatent depuis des décennies. Européen convaincu, il relève quand même que les efforts auxquels il a contribué en tant qu’ancien ministre chargé de la pêche pour sauver les espèces menacées comme le thon, portent désormais leurs fruits. Tout n’est pas perdu, mais il faut agir. En revanche, il en fait l’amer constat, l’horizon d’une paix mutuellement acceptée s’éloigne, au Proche-Orient, entre Israéliens et Palestiniens ; le Liban s’enfonce dans une corruption endémique, appuyée sur une communautarisme clientéliste sous lequel la société civile étouffe ; et si Jean cède la parole à Gilles Kepel, embarqué à Menton, pour décrypter la malédiction qui plane sur l’ensemble de la partie arabo-musulmane de la Méditerranée, ballotée entre régimes autoritaires et corrompus et cinquante nuances d’islamismes, jusqu’à l’islamo-nationalisme belliqueux d’Erdogan, il évoque longuement le chaos qui règne en Libye, et ses effroyables conséquences humanitaires. La Méditerranée transformée en un immense cimetière marin où sont déposés les corps de milliers de malheureux, dont des passeurs sans scrupules ont fait les poches avant de les envoyer au casse-pipe. Parmi les compagnons qu’il invite à discuter au « Bar des Anglais » - c’est le surnom donné à ce petit réduit à la pointe du bateau où Jean vient interroger les étoiles ou dialoguer avec la mer – Jean Glavany retrouve un jeune cousin, Loïc, qui a passé un an à bord de l’Aquarius, à secourir les migrants. Une épreuve humaine terrible, le miroir de la barbarie qui jette ces hommes sur les mers et inspire à Jean une colère et une indignation devant notre impuissance collective, notre indifférence parfois.

La barbarie, semblable à celle des Cyclopes, révèle aussi un trait profond de l’histoire des peuples méditerranéens, ce rapport à la violence qui semble cohabiter avec le plus extrême raffinement. « Une tragédie grecque en Corse » ramène Jean Glavany du côté de Cargèse où il retrouve Jean-Hugues Colonna, ancien député socialiste, républicain obstiné, mais aussi père du plus célèbre détenu insulaire : Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Erignac. Ces pages comptent parmi les plus poignantes du livre : Jean raconte le déchirement d’un père qui s’est senti quitté une première fois par ses enfants, lorsqu’ils ont embrassé la cause nationaliste, et une deuxième fois, par la République, lorsque son fils a été condamné – à tort, s’en est-il persuadé, car le commando lui aurait fait payer le fait de n’avoir justement pas voulu participer à l’opération, en le désignant comme le tireur. La justice a tranché, Yvan Colonna a été déclaré coupable, et Claude Erignac, modèle de serviteur de l’Etat, est tombé sous les balles le 6 février 1998, laissant veuve et orphelins. Une souillure et une honte encore vivement ressentie par l’immense majorité des Corses.

La Méditerranée porte-t-elle ses trois mille ans d’histoire comme un destin ? Jean fait sentir plus d’une fois que la mer rend humble et, pas plus qu’il ne conseillerait de s’engager dans des voies périlleuses, il ne s’avance à quelque programme clés en mains qui réglerait la question écologique, les guerres de religions ou qui aplanirait le contentieux franco-algérien, encore si vif de part et d’autre. Mais il suggère en creux que notre Europe en mal de vocation aurait beaucoup à gagner à devenir, ou plutôt redevenir, vraiment méditerranéenne. Nord et Sud, Orient et Occident : les mondes s’affrontent en Méditerranée, mais ils s’y retrouvent et s’y fécondent depuis l’aube de la civilisation, et cette histoire n’est certainement pas finie.

En refermant ce livre, je comprends aussi pourquoi deux passionnés de République comme nous le sommes Jean Glavany et moi étaient faits pour s’accorder, au-delà des idées politiques : nous sommes aussi, l’un et l’autre, deux fils fidèles et reconnaissants de la Méditerranée, dont les ancêtres reposent quelque part au pays d’Ulysse. Il y a dans notre panthéon républicain des douceurs d’été grec.

→ retrouver
les différentes
Bloc-notes

Événements
à venir

29.06.18 Lancement

l’Assemblée nationale, salle Colbert

Fin 2018 Fractures et dynamiques territoriales

Date et lieu à venir (4ème trimestre 2018)

Une organisation en 5 pôles transversaux, offrant des angles originaux sur les grands sujets de société.

→ Qui sommes
-nous

Pôles thématiques

Une organisation en 5 pôles transversaux, offrant des angles originaux sur les grands sujets de société.

1

Institutions, ressources et territoires

Thèmes traités :Institutions, gouvernance locale, fractures et dynamiques territoriales, services publics, transition écologique, sécurité.

2

Identités et systèmes de valeurs

Thèmes traités :Idéologies, identités, modèles culturels, laïcité, religions, discriminations.

3

Société de la connaissance

Thèmes traités :Éducation, culture, formation, recherche scientifique, digitalisation de l’information.

4

Europe et mondialisation

Thèmes traités :Politique et institutions européennes, questions internationales, défense.

5

Mutations économiques et modèle social

Thèmes traités :Économie, emploi, protection sociale, vie des entreprises, rapport au travail.

Nous soutenir

Vous voulez aider L’Aurore ? Faites un don sur la plate-forme « Hello Asso » (demande de déductibilité en cours auprès de l’administration fiscale)

→ je soutiens

Vos contributions

À venir prochainement