Jean GLAVANY - 12 Sep 2019
Mutations économiques et modèle social
LOGEMENT SOCIAL, LE JEU DES SEPT ERREURS
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LOGEMENT SOCIAL, LE JEU DES SEPT ERREURS
Le monde du logement social se réunit en Congrès dans quelques jours dans une ambiance pour le moins contrastée : la construction de logements sociaux est en effet, pour la deuxième année consécutive dans notre pays, en recul : après un pic de 130 000 logements sociaux livrés en 2016, la production est retombée à 113 000 en 2017 avant de connaître une nouvelle baisse en 2018, avec 109 000 logements. C’est donc une chute de 16% en seulement deux ans. Le gouvernement qui voulait, comme il le proclamait « provoquer un choc de l’offre », l’a effectivement provoqué mais pas dans le sens souhaité et cela a des conséquences très dommageables pour les catégories de français les plus défavorisées mais aussi pour le secteur économique de la construction. « Quand le bâtiment va, tout va » dit le dicton. Et il ne va pas très bien. En clair, il s’agit probablement de l'un des échecs parmi les plus flagrants de ce gouvernement dont personne, ou presque, ne parle.... C’est pourquoi il me semble important de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là. Je le fais comme Président - bénévole - d’un Office départemental d’HLM du sud-ouest de la France, les Hautes-Pyrénées, gérant environ 8000 logements, logeant 20000 personnes dans un milieu rural et un marché « détendu » confronté très directement et lourdement impacté par les mesures gouvernementales. Comment en est-on arrivé là ? Eh bien il me semble qu’en matière de politique publique, ce secteur a fait l’objet d’une incroyable succession d’erreurs politiques et techniques qui forment une sorte de condensé de tout ce qu’il ne faut pas faire, une sorte de « jeu des sept erreurs » : Première erreur : le flou Dans sa campagne présidentielle et dans son programme, le candidat Macron s’est contenté d’annonces vagues et rarement chiffrées, sinon sur la rénovation thermique des logements (1 million sur cinq ans) et sur le logement des jeunes (80 000 logements sur une période non précisée). En dehors de cela, sinon la promesse d’un doublement des crédits de rénovation urbaine de 5 à 10 Md€, d’autant plus facile à promettre que l’Etat n’en supporte que 10%, et un engagement à « accélérer la construction de logements sociaux là où c’est nécessaire » (sic), le programme du candidat Macron en faveur du logement brillait par son absence d’ambition et son imprécision. On sentait bien que le logement social faisait partie de ces domaines qui, dans son esprit, « coûtent un pognon de dingue » mais on n’en savait pas plus. Le candidat avait même fait des déclarations malheureuse - répétées hélas depuis son élection...- selon lesquelles « dans le logement social le capital ne circule pas assez » qui paraissaient étonnantes au Président d’un Office Public que je suis qui n’a pas de capital ! Je sais bien qu’il parlait des sociétés anonymes d’HLM mais celles-ci ne sont qu’une partie du système et, si j’ose dire, ça n’est pas la « circulation du capital » qui est leur problème le plus préoccupant. Mais revenons à l’absence d’engagements simples et clairs. Dans ces cas-là, le politique se prive de toute argumentation du genre « Je fais ce que j’avais annoncé » ou bien « Mon programme était clair, il a été validé par les Français ». Cette première erreur méthodologique du Nouveau monde allait être suivie de beaucoup d’autres... Deuxième erreur : l’absence totale de négociation préalable à la décision. Si le gouvernement avait procédé comme pour les ordonnances sur le droit du travail en disant aux partenaires sociaux « voilà mes objectifs, je les avais annoncés et ils ont été validés par les français, maintenant j’ouvre une négociation pour définir les moyens de les atteindre », il eût été parfaitement légitime et se serait probablement épargné les erreurs suivantes. Je vais même être très clair : si par exemple il avait dit au mouvement HLM « trouvons un accord mais il me faut faire un milliard et demi d’économies dans ce secteur », ( tout le monde a compris que c’était ça et uniquement ça le sujet!) j’étais, comme beaucoup de responsables du monde HLM, prêt à l’aider et à trouver une solution intelligente. Hélas, là encore, la négation des corps intermédiaires et l’esprit technocratique se sont conjugués pour donner le résultat calamiteux que l’on sait. J'insiste sur ce point, rejoignant en cela les propos tenus à plusieurs reprises ces derniers mois par Laurent Berger : la démocratie sociale, la négociation et le contrat avec les partenaires sociaux ne sont pas des contraintes ni des obstacles, ils sont la condition de la réussite dans une société complexe et développée... Troisième erreur : une annonce catastrophique Souvenons-nous : septembre 2017, le Ministre des Comptes Publics annonce que les APL vont diminuer de 5 euros par mois. Le tollé est d’autant plus général que cette annonce est faite dans la même semaine où ledit Ministre annonçait ...la suppression de l’ISF ! Cherchez l’erreur : prendre aux pauvres pour donner aux riches, la symbolique était épouvantable.... Quatrième erreur : une correction précipitée et donc, irréfléchie Devant ce tollé, il fallait réagir vite sans donner l’impression de se déjuger. Pas facile...le génie politique de ce Ministre et de ce gouvernement a alors été d’inventer, en réaction, un deuxième volet du dispositif qu’ils n’avaient pas du tout imaginé et de dire « mais pas du tout, on m’a mal compris, les pauvres ne vont pas payer puisque, certes on va leur baisser les APL de 5euros/mois mais en même temps (Ah ! Le fameux « en même temps » qui permet de dire tout et son contraire...) on va baisser leurs loyers d’autant ! La mesure sera donc totalement neutre pour eux. » Baisser les loyers, il suffisait d’y penser !! Mais qui perçoit les loyers ainsi amputés ? Et les organismes d'HLM de découvrir qu’ils devront payer la décision gouvernementale en puisant dans leurs fonds propres puisque les loyers représentent, à quelques subventions près, l’immense majorité de leurs recettes. Là encore, on aurait pu imaginer que, par une négociation approfondie, l’Etat avec l’aide des organismes d’HLM élabore un dispositif intelligent en l’adaptant à une réalité de terrain extrêmement différenciée afin que les efforts demandés soient équitablement répartis. Mais non, la machine à erreurs était lancée, plus rien ne devait l’arrêter.... Cinquième erreur : un dispositif national uniforme, indifférencié et injuste La « boite à erreurs » va trouver là son plein épanouissement : le dispositif de baisse généralisée des loyers appelé « RLS » ( comme réduction des loyers de solidarité ), inventé par les technocrates de Bercy, va s’appliquer uniformément sur tous les organismes dans leur extrême diversité, qu’ils soient Offices Publics sans capital ou SA avec des actionnaires privés, qu’ils soient actifs, dynamiques ou dormants, dans des marchés tendus comme en Île de France ou détendus comme dans nos départements ruraux, et surtout, qu’ils assument courageusement leur mission sociale ou non ! Pire, ce sont justement les organismes très sociaux comme le nôtre, qui accueillent 60 ou 65% de locataires éligibles à l’APL (les « APLisables » dans le langage technocratique) qui sont le plus frappés par la mesure alors que ceux qui stagnent à 20% (comme celui de M. Balkany à Levallois Perret) rigolent de son impact.... Pour être très honnête, quand il a pris conscience de l’ampleur de l’injustice, le gouvernement a voulu lâcher du lest en mettant en place une péréquation mais celle-ci est, hélas, restée très marginale, quasi inexistante. Pire encore, cette péréquation vient d’être modifiée avec la mise en place d’un dispositif de référence à partir du loyer réel et non plus moyen (je ne veux pas rentrer dans trop de détails techniques de peur de ne plus être compris) ce qui vient d’amputer considérablement les montants de cette péréquation pour des organismes comme le mien : en gros, désormais, pour financer cette péréquation sur les logements sociaux, désormais la province paye pour les très grosses agglomérations. Et on nous dit que le message des gilets jaunes a été entendu.... Sixième erreur : l’entêtement Pour bien comprendre l’impact de ces mesures, je veux simplement prendre l’exemple concret de notre Office départemental : notre résultat comptable se situait ces dernières années entre 4 et 5 Millions d'euros (un résultat qui cumule le résultat d'exploitation augmenté des résultats exceptionnels que nous procuraient des ventes de logements et de modestes résultats financiers) . Ceci nous permettait de construire entre 120 et 130 logements par an et d'en réhabiliter entre 200 et 300 afin d'éliminer toutes nos " passoires thermiques". Après la première vague de RLS (2018-2019) nous avons perdu plus d'un million de résultat et réduit nos mises en chantier à une vingtaine par an et nos réhabilitations à 100 ou 150... le gouvernement, qui ne veut surtout pas se renier, et malgré plusieurs déclarations alarmistes de responsables éminents de la majorité a maintenu la deuxième lame du rasoir, à peine réduite de 15% après discussion avec le mouvement HLM, ce qui va réduire notre résultat de plus de 50%. Pire : celui-ci sera sans doute négatif en résultat d'exploitation et ne sera excédentaire que par nos ventes de logements... A Bercy, j'en entends qui disent " très bien ! Vous n'avez qu'à vendre plus de logements et tout ira bien !". Les belles âmes...qui ne connaissent rien à la réalité du terrain et à la diversité des territoires français ! Ils ne raisonnent que pour les gros organismes d'HLM de la région parisienne ! Mais nous, en territoires ruraux, dans un marché détendu, ils pourront décréter cela du haut de leur technocratie triomphante, rien n'y fera : nous n'aurons pas plus d'acheteurs par un coup de baguette magique ! Et voilà comment l'on casse une dynamique de construction et de réhabilitation... On touche là une question centrale des politiques publiques : la République est une et indivisible mais la France est diverse, très diverse. Et les politiques publiques qui ne conjuguent pas cette double réalité avec subtilité et intelligence se condamnent à l'avance. Septième erreur : l'occasion manquée de redessiner une carte intelligente des organismes Avec la RLS, la loi Élan devait, notamment, ouvrir le chantier de la recomposition territoriale du mouvement HLM. Au Parlement, des voix intelligentes ont convaincu le gouvernement d'organiser cette restructuration à partir des territoires afin de tenir compte au mieux de la diversité de ceux-ci. La loi Élan ouvrait cette porte pour renforcer les principaux organismes existants sur les territoires à partir de mécanismes de seuils d'importance, de localisation des sièges sociaux et de création de société de coopération entre les organismes. Nous étions tous prêts à jouer ce jeu, au meilleur intérêt de nos territoires. Las, voilà ce qui se dessine : d'une part le gouvernement, inquiet de voir la rénovation urbaine en panne et l'ANRU perdre ses candidats a chargé la Caisse des Dépôts de contracter avec les organismes pour qu'ils reviennent à la table de discussion de l'ANRU. Et le risque de poindre de voir naître un énorme groupe public national d'HLM, ce qui n'existe plus nulle part, même dans l'ex-Union soviétique et nous éloignera ipso facto de la gestion territorialisée. Et, d'autre part, en autorisant la création de Sociétés de coordination nationales, l'Etat va permettre à de toutes petites structures condamnées, de survivre artificiellement par un contournement de la loi. Je suis prêt, évidemment, à prouver ce que j'écris ici, exemples à l'appui. Parti sans feuille de route sur la question du logement, dédaignant les territoires et les corps intermédiaires, le nouvel exécutif s’est naturellement coulé dans une vision technocratique et étroitement budgétaire d’un secteur pourtant vital pour le pays, à la fois pour son activité économique et pour sa cohésion sociale. Le résultat ne s’est pas fait attendre, avec un brutal coup de frein à la construction dans un marché en tension, une logique nationale mal adaptée aux réalités locales, et par ailleurs une complète impasse sur les quartiers prioritaires, symbolisée par le couac du « plan Borloo », commandé puis repoussé. Mais la crise des Gilets jaunes est passée par là : désormais, priorité au dialogue, à la sagesse des territoires, vivent les corps intermédiaires, et vive la relance budgétaire ! Fort bien : mais quand les Français en verront-ils la couleur ? Après les municipales de 2020 ? Les départementales de 2021 ? ou bien va-t-on tranquillement glisser vers la campagne présidentielle pour faire de nouvelles promesses ? Voilà le triste bilan de ce " jeu des sept erreurs". Le gouvernement finira-t-il par entendre raison. Un jour sans doute. Mais les dégâts faits auront été considérables. Jean Glavany Ancien Ministre Président de l'Office Départemental d'HLM des Hautes-Pyrénées