Conférence de presse d’Emmanuel Macron : la République de Lampedusa

Gilles CLAVREUL - 26 Avr 2019

Conférence de presse d’Emmanuel Macron : la République de Lampedusa

Les présidents de la République ont un point commun : ils détestent être comparés à leur prédécesseur immédiat. Si d’aventure Emmanuel Macron nous lit, il n’appréciera sans doute pas qu’on écrive qu’il a bien fait de changer d’avis au sujet des conférences de presse présidentielles, voulant tourner le dos à la formule dont François Hollande était friand, car il s’y révèle, lui aussi, très à son avantage : sur la forme, à quelques tunnels techno et quelques formules de communicants du siècle dernier (« remettre l’humain au cœur de la politique ») près, Emmanuel Macron a été pédagogue, concret et surtout, ce qui marque un progrès nécessaire, humble.

Qu’en est-il du fond ? Tout dépend, en fait, ce qu’on attendait de l’intervention du Président. Il y a eu tellement d’annonces – trop peut-être – que, sauf à les analyser comme un supporter ou comme un opposant, il faudrait être d’une grande mauvaise foi pour trouver tout bien ou tout mal. Le Président a bien compris que, si la crise des Gilets Jaunes a éclaté sur fond de révolte fiscale et porté des revendications relevant d’abord de la justice sociale, le malaise était bien plus profond et touchait, notamment, à la perte de confiance des gouvernés envers les gouvernants. Il s’est donc renié sur plusieurs points, comme il avait commencé à le faire le 10 décembre, en rappelant le rôle central des élus, en annonçant un moratoire sur les fermetures de classes et d’hôpitaux, en promettant de « remettre les fonctionnaires sur le terrain » et en reconnaissant le problème du recrutement des élites en confirmant la suppression de l’ENA. Sur le plan social et fiscal, le reniement est plus radical encore : abandon de l’objectif de réduction de 120 000 postes de fonctionnaires, baisse de 5 milliards des impôts (l’impôt sur le revenu probablement), réindexation des retraites et instauration d’un minimum de 1000€ mensuels pour les pensionnés aux carrières complètes…Ce n’est pas dit et encore moins assumé, mais l’objectif de déficit public zéro à l’horizon de la fin du quinquennat a été enterré sans fleurs ni couronnes, car le Président s’est montré plus qu’évasif sur le financement de ces mesures. Il compte davantage sur l’aide de la croissance que sur les propositions d’économie de ses ministres, c’est l’évidence.

Enfin, on ne peut manquer de saluer, en républicains, une parole claire, enfin claire, sur la laïcité : oui, la laïcité est attaquée par l’islamisme, oui il y a chez certains une volonté de « sécession » (le mot est fort, et il est bien choisi), ce qui bien sûr ne conduit aucunement à remettre en cause les fondements de la loi de 1905, la protection de la liberté de conscience au premier chef, mais invite à désigner clairement qui menace celle-ci aujourd’hui. Il ne reste plus qu’à tirer les conséquences pratiques de cette lucidité nouvelle en donnant clairement le pas à la « laïcité Blanquer » sur la « laïcité Bianco ».

Beaucoup d’annonces intéressantes, plutôt approuvées par l’opinion si on en croit les sondages, et pourtant…La prestation laisse perplexe si on la juge globalement et non mesure par mesure. Tout d’abord, le Président a gardé les coudes solidement plantés dans la table qu’il avait promis de renverser : il y a certes de vraies réformes, qu’on peut approuver ou pas, mais rien qui ressemble à cet « effet waouh !» que nous promettait la novlangue des communicants présidentiels. Le Président a au contraire égrainé tous les changements qu’il ne ferait pas, le plus symbolique étant peut-être, plus que le non-rétablissement de l’ISF, le renoncement à un recours accru au référendum (sauf au niveau local), ne serait-ce, à Constitution constante, que pour qu’une vraie discussion démocratique ait lieu sur la réduction du nombre de parlementaires – une décision démagogique et contradictoire avec le besoin de proximité reconnu par ailleurs – ou le « droit à la différenciation » des collectivités locales, sur lequel Benjamin Morel et Benoit Vaillot alertaient dans une note pour L’Aurore.

Plus largement, il y a un problème de décalage entre les intentions affichées et la méthode envisagée pour les réaliser, qui confine à la caricature avec la suppression de l’ENA et celle, bien plus explosive et structurante, des grands corps – ou du moins de leur mode de fonctionnement actuel. Qu’un Président inspecteur des finances confie une mission en ce sens à un conseiller d’Etat prête à sourire, mais surtout rappelle la routine des rapports confiés à des personnalités, mais en réalité pilotés de près par les cabinets ministériels, et arbitrés in fine par le chef de l’Etat. Emmanuel Macron en a rédigé plus d’un, il connait cette mécanique par cœur : or n’est-ce pas précisément cela qu’il s’agit, au fond, de changer ? De même, beaucoup de réformes annoncées n’en sont pas vraiment, plutôt la poursuite ou la reprise d’initiatives prises sous le quinquennat précédent : « nouvel acte de décentralisation » était le terme utilisé par François Hollande et Jean-Marc Ayrault en 2012 ; les « maisons des services publics » ont été lancées par le gouvernement de Manuel Valls en 2014, il s’agit seulement d’achever leur généralisation ; les saisines sur compte par la CAF pour les pensions alimentaires impayées ont été mises en place par Laurence Rossignol. Améliorer l’existant est très louable et très nécessaire, mais on est plus près du réformisme, pragmatique dans certains cas, timoré dans d’autres, que de la disruption.

Enfin, et surtout, il y a tout ce dont le Président parle peu ou ne parle pas du tout. On a su que l’écologie avait été rattrapée au vol, après avoir été oubliée lors de l’allocution annulée lors de l’incendie de Notre-Dame ; il ne pouvait y avoir de miracle en une semaine : la création du « conseil de défense écologique » n’est rien d’autre qu’une réunion présidentielle de plus. En matière d’inégalités sociales et territoriales, le Président nous laisse à jeun : rien en matière de logement, pourtant en souffrance comme le relevait Benjamin Sire dans l’Aurore, et pas un mot de la politique de la ville, véritable angle mort du quinquennat et que le dédoublement des classes, pour salutaire et utile qu’elle soit, ne peut suffire à combler. Quant à la quasi-disparition de l’Europe durant ces deux heures trente d’intervention, elle confine, à un mois des élections européennes, au refoulement freudien. La lettre aux citoyens d’Europe semble si loin…elle a pourtant été publiée le 5 mars dernier !

Et c’est sans doute ce qui manque en définitive au discours du chef de l’Etat : la continuité, la cohérence, la vision d’ensemble. C’était précisément ce qu’il avait réussi à installer durant sa campagne et dans ses premiers pas de Président. Un « récit », comme on aime à l’appeler aujourd’hui. Comme une toile impressionniste, la parole présidentielle dépose ses touches de couleur avec minutie mais manque à faire ressortir le motif : bien malin qui pourrait donner un titre au tableau qui nous a été brossé hier soir par Emmanuel Macron. « L’art d’être Français », est-ce une formule juste, ou juste une formule ? Cela rappelle la « politique de civilisation » de Nicolas Sarkozy, dont on attend toujours la définition.

On peut certes relever qu’en annonçant moins qu’il n’avait promis, le Président de la République garde en réserve des options autrement plus lourdes pour l’avenir, qu’il s’agisse d’un référendum qu’il pourra toujours déclencher, d’un changement de Premier ministre pour incarner un nouveau cap voire, même si c’est moins probable, d’une dissolution de l’Assemblée. Mais cela n’ôte rien à cette impression que nous sommes un peu condamnés à vivre, en dépit des promesses, dans la République de Lampedusa : on annonce que tout change, mais en fait rien ne change. Le propos est moins cruel qu’il n’y parait : il y a du bien à rechercher, aussi, dans la continuité républicaine, et Emmanuel Macron a eu la sagesse de finir par s’en rendre compte. Mais attention : l’extrême-droite, elle, veut tout changer, et on peut penser qu’elle tiendra parole si elle en avait l’occasion. Et comme le faisait justement remarquer François Hollande, les Français finiront par se dire « on n’a jamais essayé ». Encore un rappel qui ne va pas plaire à son successeur, mais qu’il serait avisé d’entendre…

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