Le bloc-notes du 14 décembre 2018

Gilles CLAVREUL - 14 Déc 2018

TERRORISME : CE QU’ON A APPRIS ET CE QU’IL RESTE A APPRENDRE

L’attaque de Strasbourg, commise aux abords du marché de Noël mardi 11 décembre, rappelle que la chute de l’Etat islamique n’a pas enrayé le terrorisme islamiste. Défait sur le terrain politico-militaire, l’écosystème jihadiste reste intact comme idéologie, vision du monde et ambition destructrice. On ne connaît pas encore les circonstances exactes du passage à l’acte du tueur abattu hier par les forces de police hier soir, mais sa biographie, de la délinquance au meurtre de quatre civils aux cris de « Allah ou akbar » en passant par ce que Gilles Kepel nomme « l’incubateur carcéral », montre que la machine de terreur et de mort fonctionne encore.

Depuis 2012, des progrès certains ont été accomplis dans la compréhension, et partant dans la lutte contre ce jihad de troisième génération : passés au travers avec Mohamed Merah, les services de renseignement, au prix d’une réorganisation en profondeur et d’un changement complet de doctrine, ainsi que par la mise en ordre de bataille de l’ensemble des forces de sécurité, militaires compris, ont permis de déjouer 55 attentats en cinq ans. Pour autant, de gros progrès restent à accomplir dans le démantèlement de cet écosystème jihadiste, structuré par le bas, qui appelle en réponse une vigilance du quotidien, une attention aux signaux faibles, de la part d’acteurs qui ne sont pas des professionnels de l’antiterrorisme, ni même de la sécurité. Impensable il y a encore quelques années, le partage d’information entre services de police et communauté éducative, par exemple, devient peu à peu une réalité, le pragmatisme l’emportant sur les légitimes préventions éthiques, et les moins légitimes préjugés idéologiques.

Heureusement, pourrait-on dire, qu’on avance sur le terrain, car le débat politico-médiatique sur l’islamisme et la prévention du terrorisme laisse quant à lui une désagréable sensation de surplace : entre les propositions irréfléchies de l’extrême-droite mais aussi de la droite (Valérie Pécresse, Eric Ciotti et Laurent Wauquiez) qui demandent l’internement préventif des fichés S, et l’éternel discours « rien-à-voiriste », que reprend le sociologue Farhad Khosrokhavar dans Le Monde aujourd’hui, qui ne veut voir dans les attentats que l’expression d’un malaise ou d’une révolte qui utilise la religion comme mobile opportuniste, le débat public est parfois d’une indigence confondante ; comment s’étonner qu’à l’irresponsabilité et au déni de certaines élites réponde en écho la propagation des interprétations complotistes ?

MACRON ET LES GILETS JAUNES :  ET MAINTENANT ?

Très attendue, l’allocution du chef de l’Etat lundi soir ne marque pas une simple inflexion politique : c’est une volte-face complète. Après avoir dit et fait dire qu’il « garderait le cap » des réformes quoi qu’il advienne, notamment sur la fiscalité écologique mais aussi sur la trajectoire des finances publiques, Emmanuel Macron a entièrement révisé sa position, avec à la clé un train de mesures qui pourrait représenter une dépense de quelque 10 à 15 Md€ et un dépassement du seuil de 3% de déficit en 2019.

Nous écrivions ici la semaine dernière qu’un tel effort serait nécessaire, et qu’il ne serait pas suffisant ; car même si le mouvement s’essouffle à l’approche des fêtes (mais se radicalise dans le même temps), ses causes viennent de loin et porteront loin.

Elles sont, on l’a dit, à la fois territoriales, sociales, mais aussi, pour recouvrir une réalité complexe et hétérogène d’un terme volontairement cotonneux, « culturelles ». Il n’était pas absurde, dès lors, d’ajouter à l’agenda des discussions à venir, à côté du débat nécessaire sur la fiscalité et la justice sociale, le thème de l’immigration qui, rappelons-le, figure parmi les premières préoccupations des Européens dans la perspective des prochaines élections, ainsi que d’évoquer, comme l’a fait le Président dans une mise en garde qu’on n’espérait plus, une « laïcité bousculée ». Las, après que Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, eut fait part de ses « inquiétudes » face à un risque de dérive, il semble que le thème de l’immigration ait été sorti du champ de la discussion. Or quel plus grand risque peut-on courir que d’opposer le silence à des interrogations citoyennes qui, par elles-mêmes, sont légitimes, et de laisser ainsi tout le champ libre à la droite extrême ? En prétendant trier ainsi le bon grain socio-économique de l’ivraie identitaire, on rate tout un pan des problématiques révélées par les Gilets jaunes. Pire : on manque l’occasion de « désidentitariser » le débat sur l’immigration, l’intégration ou encore le fait religieux. Pourquoi partir battu d’avance ? La nation française a toujours été une construction politique bien plus que culturelle, une nation-demos et non une nation-ethnos. Il serait bon de le faire entendre à nouveau.

Ce qui conduit à une dernière remarque : de même qu’il ne faut pas abandonner l’identité à l’extrême-droite, la crise des Gilets jaunes montre aussi qu’on ne doit plus laisser la critique des élites aux seuls populistes. Une forme de surdité technocratique a sa part dans le déclenchement de cette colère ; nul besoin de se jeter dans les bras de M. Ruffin ou de Mme Le Pen pour s’en rendre compte, ni désirer qu’on y remédie.

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