Où sont passés les partis politiques ?

Gilles CLAVREUL - 4 Jan 2019

Où sont passés les partis politiques ? L’année 2019 commence comme 2018 s’était achevée : avec un Président de la République qui tente tant bien que mal de reprendre la main face à un mouvement social d’une nature inédite, dans un climat de défiance général qui ne cesse de s'alourdir. Signe de l’évanescence désormais évidente des corps intermédiaires – là-dessus au moins, le candidat Macron ne s’était pas trompé – la crise se résume à un tête-à-tête entre le Président de la République et un mouvement qui, justement, n’a pas de têtes ou bien en a trop.

Et les partis politiques ? L"un des nombreux paradoxes de cette crise, que tout le monde s’accorde un peu vite à considérer comme un mouvement d'hostilité contre la représentation, c’est que les partis politiques, qui sont l'institution par excellence de la représentation politique, en sont tragiquement absents, comme s'ils ne comptaient plus. En dehors des professionnels du commentaire politique et d’un noyau compact de professionnels de la profession qui vivent et travaillent dans un périmètre d’1 kilomètre autour du Palais Bourbon, personne ne sait exactement ce que pensent et proposent Les Républicains, le Parti Socialiste, le Modem, Génération.s et la République en Marche. La France Insoumise assume certes bruyamment son suivisme démagogique mais, vu les réactions des Gilets jaunes et plus encore les sondages, cela ne lui profite absolument pas. Seul le Rassemblement national, fidèle à ce qui lui a toujours réussi, ne fait rien et attend patiemment que le malaise général ne lui profite. Et ça fonctionne.

En réalité, l’avènement d’Emmanuel Macron n’a été qu’un moment de la décomposition politique. Elle lui a bénéficié, d’abord comme candidat quand les gauches irréconciliables ont volé en éclats, puis comme Président lorsque la droite, à son tour, s’est avérée incapable de digérer l’échec Fillon. Maintenant, elle joue clairement contre lui et contre sa majorité, qui n’a que la force du nombre, de moins en moins celle de la volonté, et qui par-dessus tout manque de cohérence politique, par faiblesse native autant que par manque d'animation et de vie interne.

Avant même qu’il ne débute, on pressent l’ordre du jour du Grand débat national : plus de démocratie participative (donc référendum), plus de représentativité (donc recours à une part de proportionnelle), et moins d’élus. Traduisons : encore moins, toujours moins, de représentation… comme si nous souffrions d’un excès de démocratie représentative, que le débat était confisqué par des partis politiques sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, que le Parlement était omnipotent, et que la vie politique était encore tenue par des politiciens à vie barrant la route aux nouveaux venus. Trop stable, la vie politique française ? Considérons les changements de noms de partis et le roulement des dirigeants depuis vingt ans pour convenir qu’il n’en est rien. Au contraire.

Et si c’était l’inverse qu’il fallait faire ? Non pas qu’il faille s’interdire le recours au référendum – il existe déjà et on peut raisonnablement l’étendre, comme nous l’avons déjà dit ici – ni réfléchir à adapter les modes de scrutin. Mais ne faut-il pas chercher à conforter la démocratie représentative, plutôt que de la fragiliser toujours davantage ? Ainsi, qu’a-t-on gagné au non-cumul des mandats ? Des élus plus disponibles et plus professionnels, et donc mieux respectés ? Réservons la réponse sur les premier et deuxième points, par charité autant que prudence, mais on peut être plus catégorique sur le troisième : le non-cumul n’a absolument pas abouti à redorer le blason des élus, pas plus qu’aucune des mesures prises au cours des dernières années dans l’intention, louable, incontestable, de régénérer la démocratie et de redonner confiance aux citoyens dans la politique, n’a produit les effets escomptés. Ni le quinquennat, ni la décentralisation, ni la transparence, ni les référendums locaux : rien n’y a fait, et c’est à se demander si ce n’est pas plutôt l’inverse qui s’est produit : plus de précarité, plus de dilution des pouvoirs – et donc moins de responsabilité, plus de suspicion aussi.

Plutôt que de courir derrière des Gilets Jaunes qui les battent froid, les responsables politiques de droite et de gauche seraient bien mieux inspirés de réfléchir, loin du tumulte, à un retour aux fondamentaux de la démocratie représentative. Cela passe par une restructuration profonde des partis politiques. Imparfaits et mal-aimés, ils sont pourtant l’un des organes vitaux de la démocratie, au même titre que l’Etat, les collectivités locales, les syndicats et la presse. Professions de foi, organigrammes, recrutement, formation, vie interne, relations aux citoyens, communication : tout est à revoir, tout est à réinventer.

Dans l’état particulièrement déliquescent de notre vie politique, la prime est encore à la disruption, au chamboule-tout et aux stratégies personnelles. Faisons le pari inverse : que les premiers à reconstruire « en dur » une formation politique digne de ce nom, ceux qui auront la témérité d’écarter les recettes marketing, les recrutements sur internet et qui braveront la dictature des éléments de langage, ceux-là seront peut-être près de trouver la recette d’un succès durable, assis sur la confiance et la fidélité d’une part significative de citoyens. Gageons aussi qu’un retour, certes dans des termes profondément renouvelés, du clivage gauche-droite, qui est la langue même de la démocratie représentative, donnerait des repères à une vie politique qui n’en offre plus guère.

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