- 21 Fév 2019
Chronique d’actualité laïque
Prolégomènes
Pourquoi le lancement de cette chronique ? Tout simplement car il apparaissait nécessaire de contribuer plus régulièrement aux débats qui vont s’ouvrir par la force des choses dans les mois à venir sur la question de la laïcité en France et en Europe. Si la rigueur scientifique et la pudeur juridique doivent être de mise, il n’est pas et ne sera pas dans mes habitudes de me défiler idéologiquement et politiquement sur ces questions, c’est d’ailleurs à mon sens, un gage d’honnêteté important. Tant que la distinction est opérée et claire entre le raisonnement scientifique et les raisonnements idéologiques, tant que l’honnêteté intellectuelle oblige à ne pas utiliser la science a des fins dogmatiques mais que ces dernières procèdent logiquement de la première, tant que les quelques postulats sont clairement établis et assumés, alors cette chronique aura la prétention d’être utile, à sa manière, au débat.
Parmi les polémiques toujours plus nombreuses, stériles ou encore dignes d’intérêt, parmi les évènements récents à propos de la question laïque en France, trois ont particulièrement retenus mon attention soit par leur gravité, leur importance ou encore simplement par ce qu’ils pouvaient m’apparaître symboliques et illustrer des problématiques récurrentes.
Où est Charlie ?
Le Président de la République ne s’est pas montré très inspiré en recevant le Conseil Français du Culte Musulman (C.F.C.M.) le 7 janvier, jour anniversaire des attentats de Charlie Hebdo. On rappellera en effet que le C.F.C.M., en 2006, avait poursuivi le journal satirique pour avoir publié les caricatures du Prophète Mahomet parues initialement au Danemark dans le Jyllands-Posten et avait communiqué largement sur une éventuelle plainte en
à l‘occasion d‘une couverture s‘intitulant « intouchable 2 » parodiant le film du même nom avec un rabbin et un imam. Le C.F.C.M., comme d’autres associations religieuses avaient alors contribué à accrocher derrière le dos du journal satirique, une cible pour tous les intégristes et intolérants soucieux de poser une chape de plomb religieuse sur les débats qui regardent l’ensemble des citoyens d’une République laïque. Ces volontés de censure, résurgence d’un véritable délit de blasphème pourtant depuis longtemps supprimé, furent dénoncés par une masse très importante de nos concitoyens le 11 janvier 2015 après le massacre de la rédaction du journal satirique. Des foules immenses se sont rassemblées partout en France pour rappeler l’importance capitale de la liberté d’expression qui comprend aussi la satire, la plaisanterie et la grossièreté envers ce qui peut apparaître sacré pour les uns ou pour les autres en France. Recevoir ainsi les responsables du C.F.C.M. le matin du jour anniversaire des attentats du 7 janvier 2015 n’était peut-être pas l'acte d’hommage le plus adéquat.
Par ailleurs, le jour du massacre de Charlie Hebdo, la journaliste Zineb EL RHAZOUI échappait au massacre alors qu’elle était en déplacement. Sur le plateau de la chaîne CNews, en ce début d’année 2019, elle déclarait qu’il fallait que «
l’islam se soumette à la critique, qu’il se soumette à l’humour, qu’il se soumette aux lois de la République, qu’il se soumette au droit français ». Rien de bien révolutionnaire et pourtant, le déferlement d’injures, d’insultes, de haine et de menaces accompagnaient la cohorte des aveugles qui préféraient, comme à leur habitude, ergoter de la maison d’édition (certes à mon sens bien peu recommandable) de Madame EL RHAZOUI que du fond et de l’intérêt de ses propos. Les mêmes qui, n’hésitant pas à relativiser la barbarie, à lui trouver des explications voire des justifications, se trouvent aujourd’hui très fermes lorsqu’ils dénoncent la paille dans l’oeil de celle qui vit sous protection policière en quasi-clandestinité pour des propos qui n’auraient pas fait rougir Voltaire au XVIIIème siècle.
Du concordat de la cuisse de Jupiter
Le rendez-vous élyséen avec le C.F.C.M. s’inscrivait dans le cadre des discussions que l’exécutif souhaite avoir autour de son projet de loi de révision de la loi de 1905. La semaine dernière, plusieurs consultations avaient lieu à l’Elysée et place Beauvau. La deuxième réunion qui rassemblait les responsables de certaines associations laïques n’a semble-t-il guère débouché sur rien de bien concret à propos d‘une hypothétique révision de la loi de 1905 . Seuls quelques pistes avaient fuité dans le quotidien l'Opinion (édition du 5 novembre 2018).. Paradoxalement, si les points mis en avant dans ce ballon d’essai gouvernemental sont plutôt techniques, la majeure partie des éléments de langage et des sorties publiques de l’exécutif vise en réalité principalement sinon exclusivement l’encadrement de la religion musulmane. «
La nécessité de redonner à l’Islam (…)
un rôle particulier », «
construire (…)
un Islam qui soit délié des ingérences étrangères » ou encore «
la réforme de l’organisation de certaines religions, en particuliers l’Islam » sont ainsi les formulations qui fleurissent dans les entretiens donnés par le Président de la République et des membres du Gouvernement
à propos de cette révision annoncée. On peut s’interroger sur le fossé entre les éléments techniques dignes d’intérêt dans le cadre législatif et la volonté presque concordataire de construire et d’encadrer une religion en crise depuis déjà quelques années. «
Le monde musulman, grand corps malade »
[2], a-t-il besoin d’une ingérence étatique, au risque d’altérer le principe de laïcité ? Comment comprendre ces injonctions contradictoires entre une volonté affichée de renforcer la police des cultes et celle d’accompagner une religion en particulier qui amoindrit
de facto le principe de laïcité ?
Depuis cette rentrée 2019, le Président de la République a inséré dans sa « lettre aux Français » du 13 janvier dernier, des questions sur le principe de laïcité et a souhaité que le sujet fasse partie des discussions dans le cadre des grands débats qu’il a inaugurés à Bourgtheroulde, en Normandie. Emmanuel Macron croit notamment qu’il est possible de "(...)
porter une vraie réforme ambitieuse pour renforcer la laïcité dans notre pays" et demande aux Français «
comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le rapport entre l’État et les religions de notre pays ». C’est pourtant le même orateur qui prononçait le 9 avril 2018,
le discours aux Bernardins, le 22 septembre 2017,
le discours du 500ème anniversaire de la réforme protestante et celui qui, recevant des responsables religieux le 21 décembre 2017, semblait s’inquiéter d’un risque de «
radicalisation de la laïcité ». C’est ce même Président de la République qui n’a pas eu de difficulté
à faire modifier le logo de l’Elysée en catimini en y rajoutant une croix de lorraine , qui n’a pas hésité à accepter du Pape le titre de
Chanoine honoraire de l’Église romaine Saint Jean de Latran ou qui a encore ... L’énumération n’est malheureusement pas exhaustive, elle est pour les la . Le contexte sur ce sujet était déjà brûlant et par ces différents signaux envoyés par l‘Elysée depuis 2017, il est devenu aujourd’hui critique. Dans le contexte social tout aussi explosif, je me questionne sur la pertinence de la modification de la loi de 1905. Enfin, alors qu’il est déjà fort difficile d’appréhender ce sujet complexe et sensible, il y a t-il urgence à le jeter en pâture de la sorte dans des débats qui ne feraient que créer des divisions et qui ouvriraient la boîte de Pandore des fausses recettes miracles ?
Quelques observations sur le dernier travail de l’Observatoire de la Laïcité
En cette rentrée 2019, l’Observatoire de la laïcité, commission consultative dépendant des services du Premier Ministre, a mis en ligne une
étude remise préalablement au Secrétaire d’État Gabriel Attal dans le cadre des consultations pour la création du Service National Universel (SNU) voulu par le Président de la République. . En premier lieu, l’Observatoire de la laïcité ne m’apparait pas être, du moins dans le décret qui a permis sa création, l’interprète autorisé du droit positif et de la jurisprudence du Conseil d’État tout comme il n’est pas une autorité administrative indépendante puisqu’il est «
institué, auprès du premier ministre ». En second lieu, la différence de point de vue ou de conception idéologique ne me semble pas empêcher de reconnaître au moins le travail opéré tant au niveau juridique que sur le terrain par ses équipes sous l’autorité de son rapporteur général et de son Président. En dernier lieu, il serait opportun pour ces derniers de ne pas outrepasser le cadre dans lequel ils agissent, une commission consultative qui doit produire un travail objectif et neutre et non un bureau politique de la laïcité qui assumerait et imposerait dans le débat public
un certain nombre de postulats idéologiques et doctrinaux.
Dans cette étude de quinze de pages, l’observatoire développe les différents points qui touchent au principe de laïcité quant au déploiement futur de ce SNU. C’est un de ces points plus particulièrement qui fait débat depuis déjà quelques jours. Celui, dans la première phase du service, de l’imposition ou non d’une norme de neutralité (découlant du principe de laïcité) pour les jeunes « appelés »
[3]. L’Observatoire de la laïcité
se défend d’avoir émis un quelconque avis, une recommandation ou une prise de position dans la production de son étude. Pourtant, à n’en pas douter, la structuration de son raisonnement et l’utilisation de certains termes semblent plus volontiers appartenir à la recommandation qu’au simple discours descriptif et énumératif neutre. En effet, à la fin de chaque point évoqué, et particulièrement sur le point en débat, il est rarement laissé la place au choix pour l’élaboration du texte de son projet de loi ou alors le gouvernement est au mieux « invité » à suivre une solution en particulier. C’est notamment ce que dénonçaient certains auteurs et militants laïques dans un
article récent à propos de cette étude, en précisant que l’observatoire «
entraîne insensiblement mais certainement le décideur vers une solution unique, celle qui à sa préférence »
[4].
Plus encore que ces débats méthodologiques et lexicaux, l’étude apparaît tout de même assez orientée. Pour s’en convaincre, il suffit de constater l’évocation d’une
jurisprudence ancienne de la C.E.D.H. et l’interprétation pour le moins surprenante qui en est faite. L’interprétation de la décision Dogru c/ France
[5] vient assombrir, si ce n’est rejeter l’hypothèse du vote d’un texte particulier comme celui qui consacrait une neutralité souple pour les usagers directs
du service public de l’éducation en France[6]. Pourtant et comme le fait
remarquer la Professeure de droit Roseline Letteron, «
La brièveté du séjour des jeunes appelés pourrait constituer un argument tout à fait sérieux pour justifier la même mesure dans les internats du SNU. Mais l'Observatoire préfère verrouiller son analyse autour d'une interprétation fausse de la décision Dogru »[7]. Par ailleurs, l’Observatoire utilise largement, et l’on ne saurait lui reprocher,
l’étude trés compète du Conseil d’État du 19 décembre 2013 réalisée suite à sa saisine par le défenseur des droits. L’étude, souvent confondue avec un avis ou un arrêt est ici interprétée de manière à servir le raisonnement contestable décrit précédemment et inciter à écarter la solution d’un « texte particulier ». Si le Conseil d’État indique en effet que «
la notion de ‘
collaborateur’, ‘
collaborateur occasionnel’ ou ‘
participant’
ne dessine pas une catégorie juridique dont les membres seraient, entre autres, soumis à l’exigence de neutralité religieuse » et rappelle la nature purement fonctionnelle de cette notion, il précise néanmoins que ces collaborateurs, qu’ils soient tiers ou usagers, peuvent faire l’objet de «
restrictions à la liberté de manifester des opinions religieuses » soit par un texte instaurant des limitations particulières, des nécessités de l’ordre public ou du bon fonctionnement du service. Enfin, il semble regrettable que ce travail de l’Observatoire ne développe pas suffisamment les objectifs d’un tel dispositif pour accompagner le gouvernement dans la rédaction de son projet de loi. En effet, la vision doctrinale qui semble prévaloir derrière un tel projet s’apparente à un certain universalisme républicain qui permettrait d’impliquer «
davantage la jeunesse française dans la vie de la Nation », qui favorise les dénominateurs communs d’une jeunesse aujourd’hui en proie à de nombreuses fractures sociales, religieuses, culturelles et donc de favoriser «
un sentiment d’unité nationale autour de valeurs communes ». Cette vision universaliste, dans le cadre démocratique, reste tout à fait critiquable mais l’Observatoire, en tant que tel, n’a pas vraiment l’opportunité d’opérer un choix idéologique qui revient au seul gouvernement. En s’en tenant à ces objectifs, les analyses juridiques, les développements auraient pu s’articuler de manière plus neutre, sans omission ni interprétations hasardeuses et l’étude aurait pu être plus complète. Cela aurait peut-être également évité au ministre de l’Éducation nationale de devoir écarter publiquement l’hypothèse mise en avant par l’Observatoire en
le désavouant quelque peu dans sa méthode.
[1]Déclarations publiques respectives des ministres Nicole BELLOUBET, Christophe CASTANER et du Président Emmanuel MACRON.
[2] Expression souvent utilisée par l’islamologue et philosophe Abdennour BIDAR
[3] Point intitulé « Usagers de la première phase en internat : restriction ou non à la manifestation d’une appartenance religieuse »
[4] Association Printemps Républicain, Laïcité et Service National Universel, la fausse neutralité de l’Observatoire de la laïcité, en ligne, disponible sur la page Facebook de l’Association
[5] C.E.D.H., 4 décembre 2008, AFFAIRE DOGRU c. FRANCE, n°27058/0
[6] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
[7] Roseline LETTERON, « Service national universel : A quoi sert l'Observatoire de la laïcité ? », 14 janvier 2019, en ligne, disponible sur libertescheries.blogspot.com