Jean GLAVANY, Laurent BOUVET, Gilles CLAVREUL, Denis MAILLARD - 16 Jan 2019
Institutions, ressources et territoires
Oui au Débat, malgré tout
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Oui au Débat, malgré tout
A quoi Emmanuel Macron pouvait-il penser après ses sept heures de débat marathon devant les maires de l’Eure ? Il lui aura fallu accomplir une performance physique, intellectuelle et, en définitive, politique, pour faire (un peu) oublier une énième petite phrase maladroite, lâchée hors micro peu avant. Se désole-t-il d’avoir si souvent gâché des annonces importantes ou des moments politiques qui auraient dû lui bénéficier, pour un mot malheureux ? Ou bien y voit-il la confirmation du bien-fondé de ses prises de risque, puisque c’est dans un exercice sans filet, où jamais l’un de ses prédécesseurs ne s’est risqué, qu’il vient de retrouver un peu de l’oxygène politique qui lui manque ? Difficile à dire. Deux choses sont en revanche très claires : d’abord, Emmanuel Macron aurait été bien inspiré de commencer son quinquennat par ce dialogue direct avec les maires, voire avec les citoyens eux-mêmes. C’était au fond la (bonne) inspiration de sa campagne : être en contact direct avec le terrain, écouter et parler sans tabou. Ensuite, la vie politique n’a jamais été aussi suspendue aux réussites ou aux infortunes d’un seul homme. Comme si la logique des institutions n’y poussait pas suffisamment, comme si l’affaiblissement des intermédiations n’était pas allé assez loin. Il n’y a plus ni majorité, ni opposition, avec tout le dégradé d’attitudes et d’opinions que cela suppose, mais un homme seul, trop seul, face aux attentes, aux demandes, aux frustrations, aux colères, et le cas échéant, aux désordres. Cette situation d’hyper-personnalisation n’est pas saine, elle devient même dangereuse. Voilà une première raison, suffisante à elle-même, pour se saisir de ce Grand Débat qui vient de démarrer, et dont le menu nous est donné par la Lettre rendue publique dimanche soir : sortir du face-à-face, Macron contre Gilets Jaunes, et faire entendre autre chose. Disons-le tout net : la « Lettre aux Français » a mille défauts. Exagérément longue, laborieuse, dépourvue d’unité de style : voilà pour la forme. Elle s’ouvre par quelques propos convenus sur le tempérament national et s’achève sur une interminable série de questions de valeur et d’intérêt très variables, certaines fondamentales, d’autres de circonstance, d’autres enfin, purement rhétoriques – ainsi lorsque le Président feint de se demander s’il faut maintenir des services publics obsolètes et coûteux. Sur le fond, elle n’éclaire pas beaucoup ce que le Président attend vraiment du grand rendez-vous qu’il a fixé : se dirige-t-on vers un vaste chambardement des institutions qui combinerait recours accru au référendum, réforme du Sénat et du CESE, réduction du nombre des élus, suppression d’un niveau de collectivité locale et part de proportionnelle aux législatives ? Ce serait rien de moins qu’un changement de régime, si on allait au bout de la logique. Ou bien s’agit-il, « seulement » pourrait-on dire, d’intervenir sur des champs de politiques publiques bien délimités, certes très importants comme en matière fiscale, mais dans une perspective capée par le respect des engagements de campagne, c’est-à-dire sans remise en cause des premières réformes du quinquennat ? On souhaite bon courage aux organisateurs des débats localement pour gérer ce grand écart – organisateurs dont le Président ne souffle mot ce qui, à vingt-quatre heures du démarrage supposé des débats, ajoute à l’expectative. Le plus ennuyeux est que cette énumération, pour être aussi fastidieuse qu’hétéroclite, n’est pas exhaustive pour autant. Les deux grandes absentes de l’adresse présidentielle, c’est la mondialisation et c’est l’Europe ! Cet oubli, dont on ne peut pas imaginer un instant qu’il soit involontaire, peut certes s’expliquer par la crainte d’ouvrir la boite de Pandore et de faire du Grand débat un grand défouloir anti-bruxellois, avec pour point d’horizon les élections européennes de mai. Or c’est bien le problème : silencieux, pour une fois, sur l’engagement européen qu’il a pourtant courageusement défendu jusqu’à présent, le Président prend le risque qu’après avoir fermé la porte sur la question européenne, celle-ci ne revienne par la fenêtre et ne prenne de court les organisateurs du débat (on ne les plaindra jamais trop), dans le cadre d’un procès plus vaste contre le libre-échange et la mondialisation. Autant il parait pleinement légitime, en dépit des critiques, d’aborder le sujet de l’immigration car il intéresse les Français ; autant ne pas l’envisager dans le cadre européen et mondial, c’est prétendre traiter des conséquences sans traiter des causes. Paradoxal et frustrant. Laissons-là les reproches, de crainte d’être aussi longs que le Président. Car cette Lettre a au moins le mérite, serait-il le seul, d’exister. Et d’introduire un Débat qui s’annonce sans doute périlleux, brouillon, incertain surtout, quant à ses finalités – que va-t-il réellement en sortir ? comment va-t-on trier entre les propositions ? etc. – en fixant quelques grandes lignes, en mettant des garde-fous nécessaires – notamment sur les questions de société – et en laissant clairement transparaître ses propres préférences sur certains sujets importants. L’exécutif ne sera donc pas le notaire de simili-états généraux, mais le protagoniste actif d’un processus visant à donner l’occasion de s’exprimer et d’influer sur les décisions à venir, sans toutefois remettre en cause la légitimité démocratique sur laquelle cet exécutif, et la majorité qui le soutient, sont assis. Cela déplaira fortement à ceux qui se prenaient à rêver du Grand soir, mais tel n’est nullement l’objet de cette consultation, ni sans doute la volonté de la majorité des Français. Ainsi donc, même si ses modalités concrètes restent confuses alors même qu’il vient de commencer, même si le cahier des charges est laborieux et décevant, ce Débat va avoir lieu. Est-ce là une raison suffisante pour s’impliquer dans le Débat ? Disons franchement que oui, et s’il fallait des raisons supplémentaires, il n’y a qu’à puiser dans les défauts du dispositif : c’est bien parce que certaines questions cruciales ne sont pas abordées et que certains arbitrages paraissent déjà préemptés, qu’il est nécessaire de contribuer. On ne peut pas à la fois trouver que le menu est pauvre, et refuser de l’enrichir lorsqu’on y est invité. Dans ces conditions, les formations politiques, les élus ou les représentants des corps intermédiaires qui bouderont, en espérant que le Débat soit un échec, prennent le risque que le Débat marche mieux sans eux qu’avec eux. A chacun à prendre ses responsabilités… Soyons lucides toutefois : ce Grand Débat ne sera pas l’An 1 d’une nouvelle République revivifiée et réconciliée avec elle-même. Les fractures françaises, si nombreuses et si profondes, ne se réduiront pas ; les défis européens et mondiaux ne disparaitront pas. Mais s’il permettait au moins que la conversation républicaine qu’à L’Aurore nous appelons de nos vœux, puisse s’engager dans des conditions plus sereines, et qu’une majorité de Français conviennent que c’est unis, et non divisés, qu’ils relèveront ces défis et soigneront leurs maux, alors un vrai pas démocratique aura été franchi. Mais le temps presse : demain les européennes feront une première fois la vérité des prix politiques, en France et en Europe. Depuis le début de la crise des Gilets Jaunes, seul le Rassemblement national tire son épingle du jeu. La décomposition politique se poursuit à vitesse accélérée, entre une majorité devenue très impopulaire, une gauche et une droite inaudibles et une France insoumise qui joue délibérément la carte du désordre. Pour que la vague populiste nous submerge à notre tour, il manque toujours le liant ; mais les ingrédients sont là, Gilets jaunes ou pas, Grand Débat ou pas. Voilà le véritable enjeu, que la personne du Président et les insatisfactions légitimes des uns et des autres, ne doit pas occulter. Il est temps plus que jamais de penser d’abord à l’intérêt du pays.