Céline FLORENTINO (*) - 27 Juin 2020

Société de la connaissance

Une rentrée pleine d’imprévus

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  Les mois se suivent et ne se ressemblent pas... Depuis le 22 juin, dans les établissements scolaires, il s'agit de faire revenir pour les 15 jours restants plus de la moitié des élèves dont, bien souvent, les parents avaient décidé qu'ils ne remettraient pas un pied à l'école avant septembre.

  Il y a un mois seulement, le débat qui faisait rage était d'une autre nature : le gouvernement était-il totalement irresponsable de rouvrir les écoles ? Sur les réseaux sociaux notamment, les questions suivantes, largement relayées voire encouragées par les médias, ont explosé : prendrait-on l'école pour une garderie ? L'Education devait-elle être l'esclave du grand patronat ? Les élèves les plus en difficulté reviendraient-ils en priorité à l'école ? Les enseignants étaient-ils de la « chair à canon » ?

  Au début, ces discours caricaturaux n'émanaient pourtant pas des syndicats majoritaires. Ces derniers semblaient même plutôt favorables à la reprise. En effet, comment peut-on dire, lorsqu'on défend l'éducation pour tous, pilier de notre République, que revenir à l'école pour « seulement » six semaines ne servait à rien ? Cela aurait été faire bien peu de cas de l'importance de la mission des enseignants auprès des élèves, et de l'essence-même de leur travail : la relation maître/élève. Après s'être plaint, souvent à juste titre, d'une période de télé-enseignement totalement inédite et plutôt stressante, il semblait difficile d'être contre la reprise. Et pourtant. Dans beaucoup de cas, c'est la peur qui s'est exprimée. Dans d'autres, la défiance.

  Angoisse et belles surprises

  Pourtant, dans les faits, cette peur n'était pas réellement tangible à la reprise du 11 mai. En tant qu'enseignante spécialisée, je travaille sur un secteur recouvrant plusieurs groupes scolaires, en REP et hors REP, ce qui me permet d'avoir une vue d'ensemble sur ce qui s'est passé et le climat qui régnait. Mais je fréquente aussi les réseaux sociaux, et là, la différence entre les images choc provoquant l'émotion immédiate et la réalité m'a une fois de plus éclaté au visage. Sur cette photo prise dès la première semaine de la reprise dans une école maternelle, on voyait des enfants dans la cour de récréation, « enfermés » dans des formes géométriques dessinées à la craie. Le ciel gris, le nombre d'enfants limité, le climat de peur, tous ces éléments contribuaient à donner à cette photo une dimension terriblement anxiogène. Que n'a-t-on pas lu ou entendu à ce moment-là... Ecole répressive, maltraitance psychologique envers les enfants... Pourtant, dans toutes les écoles où j'exerce, je n'ai pas une seule fois assisté à ces scènes « dignes des heures les plus sombres », émanant d'un état « autoritaire », voire « totalitaire »... Il est vrai que c'était plus compliqué pour les écoles maternelles de faire respecter le protocole à des enfants plus jeunes. Mais selon l'enseignante qui surveillait la cour de récréation, les choses se passaient plus ou moins bien...

  Car oui, il a bien fallu aussi exercer sa responsabilité individuelle et sa part de liberté professionnelle. Selon les personnalités et les degrés d'inquiétude, la tolérance était plus ou moins de mise. La plupart des enseignants comprenaient très bien que l'accueil bienveillant était ce qui comptait au-delà de tout, après une période aussi exceptionnelle, que l'on soupçonnait avoir été bien difficile pour certains enfants. Hurler sur les enfants qui ne respectaient pas la bonne distance aurait été totalement contre-productif. Il régnait une atmosphère étrange : un peu tendue, mais en même temps exceptionnellement calme et chaleureuse. Oui, chaleureuse. Adultes comme enfants ressentaient un vrai soulagement de pouvoir enfin se parler, échanger. Personnellement, je n'avais jamais eu des échanges aussi riches avec les collègues. Quant aux enfants, je pense pouvoir témoigner de ma place à quel point cette reprise leur a fait du bien. J'ai animé durant cette période des groupes de parole de 4 à 5 élèves sur toutes les classes présentes. J'ai posé des questions à près de deux cents enfants en tout sur la manière dont ils avaient vécu le confinement, sur ce qu'ils avaient ressenti, et ressentaient à présent, au moment de la reprise. L'écrasante majorité était heureuse de reprendre, malgré les restrictions et les contraintes. Restrictions et contraintes qui paraissaient bien dérisoires au regard de celles qu'ils avaient subies pendant près de deux mois. Et beaucoup ont même admis qu'ils étaient obligés d'inventer de nouveaux jeux dans la cour. Plus de foot, et de disputes infinies. Beaucoup de créativité en revanche. Et plus d'échanges verbaux, même si, comme me l'ont dit certaines élèves, il était plus difficile de se confier ses secrets à deux mètres de distance !

  Les enseignants, pour beaucoup, ont apprécié cette reprise progressive, avec le miracle de pouvoir travailler enfin avec des effectifs réduits, miracle qui ne se reproduira sans doute jamais plus. D'ailleurs, depuis le 22 juin, le bruit permanent a repris ses droits, rendant presque nostalgiques ceux qui auront connu l'école post-confinement.

  Ceux qui ont sans doute le plus souffert auront été, encore une fois, les directrices et les directeurs d'école. Le protocole sanitaire reposait directement sur leurs épaules, et il était bien lourd.

Il avait pourtant été demandé par les personnels et les syndicats. Mais son application paraissait insurmontable. Sa rigidité était profondément anxiogène. Il représentait un rempart contre les risques, mais surtout une angoisse de plus : si jamais on oubliait de le respecter et qu'un enfant tombait malade, est-ce que ce serait notre faute ? Serait-on accusé de négligence ? Tout ça pour un virus dont on sait qu'il touche moins les enfants que d'autres virus... Et même si aucun ne tombait malade, mais qu'ils allaient répéter à leurs parents que la maîtresse avait enlevé son masque en classe, risquait-on d'avoir des problèmes ? Heureusement, ce protocole vient de s'assouplir. Maintenant, son message implicite est le suivant :« si c'est possible tant mieux, sinon tant pis ». N'est-ce pas finalement ce que nous faisons toujours, pour pouvoir faire au mieux, dans le respect des règles à condition qu'elles n'entravent pas le déroulement de la vie et des choses essentielles ?

  Service public contre service public ?

  Pour autant, une proportion d'enseignants, en-dehors de ceux déclarés fragiles en raison de la pandémie, n'ont pas eu besoin de se retrouver physiquement en classe, et cela pour une bonne raison :  20 à 30 % des enfants seulement étaient présents, et il fallait, pendant un temps, continuer à assurer l'enseignement à distance. Les écoles se sont naturellement organisées pour que l'enseignement soit assuré pour tous les élèves, avec ou sans présence sur le terrain. Mais cela, les médias ont oublié de le dire, et se sont acharnés pendant un moment sur un chiffre : moins de 50 % des enseignants auraient « repris le travail ».

  Cette période d'acharnement des médias qui a commencé début juin contre le corps professoral est assez consternante. Les médias mainstream qui pourtant se plaignent souvent de l'emportement émotionnel provenant des réseaux sociaux, auraient-ils oublié de vérifier ce que signifient les chiffres, pour finalement céder au dénigrement d'un corps professionnel qui serait toujours en vacances et ne travaillerait que 18 heures par semaine ? Quand les pires attaques proviennent en plus du journal télévisé de France 2, du service public, il y a de quoi s'interroger... De même que l'on peut s'interroger, dans un autre registre, des attaques du même service public contre une police qui serait foncièrement raciste. France Inter et France Culture s'en sont donnés à cœur joie sur ce sujet. Seuls les soignants ont échappé à ces attaques, fort heureusement. Mais on peut presque se demander si cela n'a pas été au détriment d'autres fonctionnaires qui, eux, ne seraient pas des héros. Eh bien non, les enseignants ne sont pas des héros. Pas plus que tout le monde. Et beaucoup de soignants ne le sont pas non plus d'ailleurs, ils le disent eux-mêmes. Ils veulent juste être reconnus et respectés pour ce qu'ils font, qui est aussi une part de ce qu'ils sont.

  Cet énorme problème de reconnaissance ne date pas d'hier, et a amené une part des enseignants à un niveau de défiance envers leur ministère jamais atteint. Les enseignants souffrent depuis trop longtemps de ces jugements hâtifs entendus au café du commerce, en famille, dans les médias, de leur hiérarchie trop peu bienveillante... Parce que, après tout, il faut bien le reconnaître, qu'on fasse bien son travail ou beaucoup moins bien, le salaire et l'avancement resteront les mêmes. Donc, l'immense majorité qui tient à bien faire son travail se sent parfois obligée de montrer à quel point elle travaille dur.

  Quitte à en rajouter parfois. On a pu lire sur internet les innombrables témoignages d'heures, de journées, voire de nuits (!) passés à travailler chez soi pour mettre au point l'enseignement à distance et la fameuse « continuité pédagogique », en sacrifiant sa vie de famille... Mais personne ne leur en demandait autant. On ne fait pas mieux son travail parce qu'on y sacrifie sa vie. Mais là, pour la première fois, le travail était directement vérifiable par les parents, par l'extérieur, par tout le monde. Cela a été un facteur de stress important pour de nombreux personnels, souvent inquiets d'être pris pour des tire-au-flanc. Alors, quand le retour à l'école a été annoncé pour le 11 mai alors qu'on ne s'y attendait pas, la soupape a explosé, pour certains. Et on a pu lire ou entendre parfois des propos frisant le complotisme de la part de certains enseignants. Et les syndicats se sont pour la plupart laissé emporter par leur base, et ont réclamé la reprise en septembre. Cela a contribué sans doute à ternir l'image non seulement de la profession, mais du syndicalisme en général.

  Ce phénomène montre bien la difficulté que les syndicats et les partis de gauche affrontent aujourd'hui : suivre une base minoritaire mais faisant beaucoup de bruit de peur de perdre des adhérents déjà de plus en plus rares, ou bien montrer un peu de hauteur de vue en période de crise : rester républicain, continuer de penser dans l'intérêt collectif et se préoccuper de leurs élèves qui n'étaient pas en danger de mort en reprenant l'école.

   Retrouver les bases

  En revanche, si la reprise n'avait pas eu lieu, de quoi aurions-nous l'air, aujourd'hui ? Les choses seraient progressivement revenues à la normale, et pas les écoles ? Et même si d'autres foyers épidémiques apparaissent, pourra-t-on raisonnablement accuser les écoles d'en être à l'origine ? Et les enfants, dont certains ont souffert de leur environnement, du manque de contacts sociaux, du décrochage scolaire, peut-on imaginer ne pas leur avoir laissé une chance de revenir, de reprendre pied avec une certaine normalité ? Nous devons être un exemple pour eux, et leur montrer que la peur irraisonnée, même si elle est compréhensible, ne doit jamais être notre principal moteur. Que si l'école est gratuite, laïque et obligatoire, ce n'est pas pour rien. Et que cela reste un principe inaliénable. Que les membres qui la composent se doivent d'être exemplaires, même si une partie ne l'est pas, comme dans toutes les professions, comme dans toute l'humanité.

  Mettre sans arrêt en lumière nos côtés obscurs finira par obscurcir nos lumières, notre héritage, notre présent et notre avenir. Nos institutions ont tenu grâce aux très nombreux hommes et femmes qui en sont les piliers. Soutenons-les. Ils nous abritent et nous rassemblent.

(*) Céline FIORENTINO est enseignante spécialisée. Elle travaille en RASED (Réseau d'Aide Spécialisée aux Elèves en Difficulté) dans l'Académie de Nice. Elle a contribué en en novembre dernier à L'Aurore : https://www.laurorethinktank.fr/note/education-le-si-cher-fardeau-de-la-bienveillance/